Analyse : Gazprom et football européen, l'usine à gaz
- Flo
- 19 janv. 2021
- 4 min de lecture
Depuis le milieu des années 2000, Gazprom investit massivement dans le football européen, que ce soit en étant actionnaire majoritaire du Zénith Saint-Pétersbourg ou en tant que sponsor de clubs (Schalke 04, Étoile rouge de Belgrade, Chelsea) ou de compétitions (Ligue des Champions, Supercoupe d'Europe, Coupe du monde).
Cette soudaine activité a de quoi surprendre et pousse à s'interroger sur les réelles motivations de la première compagnie mondiale en matière d'énergie.

Un problème d'ordre géopolitique
Fondée en 1989, Gazprom est une société spécialisée dans l'extraction et la distribution de gaz naturel et est détenue à plus de 50% par l’État russe.
Solidement implantée en Europe de l'Est au tournant de l'an 2000, la société cherche cependant à s'étendre vers la partie occidentale du continent et l'occasion ne tarde pas à se présenter.
En effet, en avril 2000, l'Allemagne promulge la loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG) qui vise à réduire la part du nucléaire et du charbon dans la production énergétique du pays au profit d'autres énergies, tel que le gaz naturel. Une aubaine pour le géant russe.
Cependant, les relations diplomatiques qu'entretient la Russie avec ses voisins entravent le projet.
Effectivement, pour acheminer du gaz en Allemagne, Gazprom doit passer par l’Ukraine ou la Pologne, deux pays avec qui Moscou entretient des liens parfois très tendus.
Ne voulant pas être tributaire de leur bon-vouloir, l’État russe imagine alors une alternative : le Nord Stream.

Lancé en septembre 2005, ce nouveau gazoduc relie l'Allemagne à la Russie via la Mer Baltique, le tout avec l'aval particulièrement enthousiaste du chancelier allemand d'alors, Gérard Schröder.
L'ensemble est même assorti d'un prêt d'1 milliard d'euros à Gazprom de la part de l’État fédéral.
Cette opération soulève malgré tout déjà quelques interrogations.
En effet, la complaisance du chancelier allemand, arrivant en fin de mandat à ce moment-là, interroge et sa nomination quelques temps après à la tête du conseil de surveillance du projet, sur proposition du Kremlin, n'a pour seul effet que d'amplifier les soupçons de la presse et des citoyens.
"Gazprom est synonyme de corruption".
C'est ainsi que le célèbre journaliste d'investigation Jürgen Roth décrivait en 2005 l'entreprise russe (Der Spiegel).
Cette déclaration est symptomatique de la mauvaise image dont souffre l'entreprise russe outre-Rhin et pour remédier à cela, elle décide d'investir dans le football allemand.
Le football pour se racheter une image en Allemagne
Ainsi, après avoir racheté en 2005 le Zénith Saint-Pétersbourg, la firme russe poursuit son entreprise en investissant en 2006 dans le très populaire club de Schalke 04.
Surendettés à l'époque (oui déjà), les dirigeants des Knappen acceptent donc l'arrivée de ce sponsor maillot à la réputation sulfureuse mais aux capacités financières phénoménales.
En contrepartie, le richissime propriétaire de Schalke 04 et grand ami de Vladimir Poutine, Clemens Tönnies, s'est ainsi ouvert les portes d'un nouveau marché en Russie en installant pas moins de 20 élevages porcins dans le pays.
S'il est en apparence assumé par les deux partis, cet échange de bons procédés ne laisse personne dupe sur leurs réelles motivations, même s'il a le mérite de faire exister Gazprom dans le paysage quotidien de bons nombres d'européens.

Le choix de Gelsenkirchen est d'ailleurs stratégique pour l'entreprise russe puisque outre la popularité de Schalke 04, la ville est située à seulement 2 heures de Rehden où se trouve un gigantesque site de stockage de gaz mais aussi le terminus du Nord Stream.
En 2011, la construction du Nord Stream est enfin achevée, ce qui coïncide d'ailleurs avec d'excellentes performances de Schalke 04 sur la scène nationale et continentale (1 Coupe d'Allemagne, 1/4 de finale de LDC).
L'influence de Gazprom ailleurs en Europe
Toujours en suivant des intérêts économiques, Gazprom devient, en 2011, sponsor maillot du très populaire mais très endetté club de l’Étoile rouge de Belgrade (Serbie).
Actionnaire majoritaire de la Naftna industria Srbije (NIS), la compagnie pétrolière serbe, Gazprom cherche à davantage s'implanter dans le pays car un projet de South Stream passant par Belgrade était à l'étude.
Mais après s'être heurté à l'opposition vive de l'Union Européenne, Gazprom abandonne l'idée en 2014 tout en restant engagé dans le Crvena zvezda.
Gazprom est également implantée en Angleterre depuis 2012 puisqu'elle est partenaire du Chelsea FC.
Officiellement, le groupe russe finance les factures de gaz et d'électricité du club en échange de visibilité mais il est plus probable que la vérité soit ailleurs.
En effet, le club londonien est détenu par l'ex-homme politique russe Roman Abramovitch qui est un intime de Vladimir Poutine.
Enfin, depuis 2012, la firme russe a noué un partenariat avec l'UEFA afin d'en être le sponsor lors de la prestigieuse Ligue des Champions, la visibilité lié à cette compétition étant planétaire, tout comme la Coupe du monde, que Gazprom sponsorise depuis 2013.

Liens troubles
A l'instar de la Coupe du monde 2022 au Qatar, l'implication du politique dans la candidature russe pour la Coupe du monde 2018 est un secret de polichinelle.
En effet, lors de son attribution en 2010, le projet russe était éminemment moins solide que ses concurrents espagnols, portugais, anglais ou néerlandais.
De plus, selon des révélations signées Le Monde, des pots-de-vins auraient été versés par des membres du comité d'organisation russe à certains membres du comité exécutif de la FIFA.
Ces méthodes, très en vogue dans les plus hautes arcanes du pouvoir en Russie, sont également suspectées d'avoir été utilisé par Gazprom pour parvenir à s'imposer dans l'univers du ballon rond, ou d'autres sports, comme l'escrime.
L'arrivée de Gazprom au sein du football européen a donc répondu à une logique d'image et de contrats juteux, souvent réalisés dans des conditions largement opaques et en utilisant divers moyens immoraux et illégaux dont le chantage, la menace ou la corruption.
Dans un sport toujours plus vérolé par l'argent, Gazprom ne fait pas figure d'exception et représente très surement ce qu'il y a de plus abject dans le football actuel.

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