Analyse : Coupe d'Europe, la lente agonie
- Flo
- 6 mai 2021
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Annoncé en grandes pompes il y a un peu plus de deux semaines, le projet de Super League porté par Florentino Perez et ses sbires s'est vu largement réprouvé par le microcosme des fans de football, gageant de défendre la survie du "football populaire".
Il ne fut donc pas surprenant de voir l'idée abandonnée quelques jours plus tard, occasionnant dans les médias mainstreams de grandes effusions de joie au cri de "Le football populaire a gagné".
Cependant, cet épisode a notamment mis en lumière le grand paradoxe qui règne dans le monde du football depuis plusieurs dizaines d'années maintenant.
Explications.
La Super League : l'abus de trop
A l'annonce de sa création, la Super League a provoqué sur les réseaux sociaux, dans les médias et parfois dans la rue, des réactions d'oppositions assez vivaces.
Il faut dire que le projet est, à mon sens, assez détestable puisqu'il est la matérialisation même d'un libéralisme crasse et déshumanisant, qui prône un égalitarisme économique mais uniquement entre les plus riches, tout en voulant contrôler l'incertitude liée au sport, tout cela dans le but de dégager toujours plus de profits.
Parce que oui, le découpage du gâteau n'est pas assez déséquilibré aux yeux des dirigeants européens.
Parce que oui, ses instigateurs n'en ont cure de la survie du football tant qu'ils peuvent garnir les finances de leurs clubs de quelques millions de dollars supplémentaires.
Parce que oui, ces colosses sont simplement devenues des machines à billets qui ont perdues leurs identités d'antan en devant des franchises déguisées et dépourvues d'encrage local.
Parce que oui, ce libéralisme sans foi ni loi méprise l'Histoire du football européen comme le libéralisme économique méprise l'Histoire sociale, dixit Polo Breitner.
Cependant, ce projet n'est que le symptôme le plus visible d'une maladie qui gangrène dans un silence assourdissant le football mondial.

Une mise en pièce programmée
Fondée en 1955, la Coupe d'Europe des clubs champions est considéré comme l'ancêtre de la Ligue des champions actuelle, à ceci près qu'elle respectait bien plus l'incertitude et l'équité sportive.
En effet, même si elle a connu quelques changements majeurs au cours de son histoire, le format est resté globalement fixe.
On retrouvait ainsi les champions de la plupart des fédérations européennes qui s'affrontaient en match aller-retour (sauf finale), le tout agencé selon un format de coupe.
Cela permettait donc une diversité des championnats représentés et un roulement parmi les participants puisque les vainqueurs de championnats changeaient presque chaque année.
Cependant, l'UEFA, déjà avide de profits, modifie ce modèle en 1992.
Ainsi, après la saison 1992-1993 qui servit de transition, des phases de poules sont crées afin de garantir plus de revenus via plus de matchs disputés.
L'instance directrice ne s'est d'ailleurs pas arrêté là puisqu'à partir de 1997, elle a autorisé les vices-champions à participer, ce qui signe par extension la fin de la Coupe des clubs champions et la naissance de la Ligue des Champions.
Ces manœuvres signent ainsi officiellement le début d'une disparition de la diversité des équipes au profit de la stabilité financière de participants devenus des habitués.
Les matchs se multiplient pour supporter l'ouverture de la compétition aux non-champions et depuis 1999, les équipes qui terminent au 3e et 4e place des meilleurs championnats européens sont qualifiées.
Cette extension des clubs autorisés à participer à la C1 va par ailleurs précipiter la mort de la C2, la Coupe des vainqueurs de coupes, en 1999 et par la même une période d'instabilité pour la toute jeune C3, qui trouvera son format actuel seulement en 2009.

Pourquoi la C1 est aujourd'hui problématique ?
L'un des arguments avancés par les partisans de ces modifications est le caractère chronique des grandes affiches, en outre du développement économique occasionné, .
Il est vrai qu'il n'est pas rare de voir des matchs époustouflants avec le format actuel de la C1.
Cependant, le fait de retrouver chaque année les mêmes équipes participantes à la compétition en annihile grandement le caractère égalitaire.
Est-il normal que le champion de Grèce ou des Pays-Bas doivent franchir 3 tours de qualification alors que le 4ème de Premier League est d'office qualifié en poules ?
L'excuse du quotient UEFA ne tient d'ailleurs que peu la route puisque l'on présume du niveau d'une équipe avant même qu'elle ne joue, ce qui est à l'opposé de tout esprit sportif.
En ce sens, la C1 est une ligue fermée qui ne dit pas vraiment son nom, avec les mêmes visages tous les ans, à quelques exceptions près.
La LDC actuelle est par conséquent une version "acceptable" de ce qu'est le projet de Super League auprès d'une génération d'amateurs qui a été biberonnée au football libéral.
Alors, il est aisé de constater que cet événement a quelque peu redoré l'image de l'UEFA aux yeux de certains, faisant passer l'instance européenne pour la sauveuse du football populaire.
Mais il faut bel et bien rappeler, pour rester dans le registre médical, que si la Super League est la peste, alors la Ligue des Champions est assimilable au choléra.
De plus, auparavant, les grands clubs ne jouaient pas la C1 tous les ans, car n'étant pas champions systématiquement , ce qui rendait les matchs européens de son équipe favorite bien plus rares, intenses et attendus qu'aujourd'hui.
Les surprises étaient d’ailleurs autrement plus fréquentes et l'incertitude décuplée.
Le mue du football professionnel en tant que sport vers une industrie du spectacle sans incertitude et financiarisée à l'excès par des technocrates étrangers a donc petit à petit dénaturé le football.
Alors non, même avec la Super League, le football ne mourra pas, puisque ce que l’on range derrière cette idée n'est qu'une chimère appartenant au passé.
Cependant, le football populaire existe encore bel et bien, dans les divisions inférieures, où il vivote face aux restrictions, aux faibles affluences et à la standardisation des fans de football qui pour beaucoup ont oubliés que le football, c'est avant tout une histoire de guerre de clochers ...
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